À l’heure où l’ESS n’est plus un sigle méconnu et son impact sur les territoires reconnu, quelle est la situation de l’économie sociale et solidaire dans les territoires ruraux ? Le regard de Sébastien Lévrier, co-fondateur de Les petites rivières, agence de conseil en innovation sociale et coopération territoriale. Il a notamment coordonné l’étude « L’ESS, une chance pour les territoires fragiles » de l’ANCT et participe à l’évaluation du projet MCDR TRESSONS.
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Le café pluche est un café associatif né de la rencontre de citoyens et de la municipalité de Comberanche-et-Épeluche (24). Objectif du projet : « lutter contre l’isolement social grandissant, le manque d’échanges et la désertification des centres-bourgs ruraux ». C’est l’une des initiatives de l’ESS rurale étudiée dans le cadre de l’étude de l’ANCT. © photo : France 3 Nouvelle-Aquitaine. |
Quelle est la place de l’Économie sociale et solidaire dans les territoires ruraux ? Sébastien Lévrier : Comme l’a très bien clarifié le projet TRESSONS porté par l’Avise et le RTES, l’ESS n’est pas un fait uniquement urbain. Dans son étude, « L’économie sociale et solidaire dans les territoires ruraux », TRESSONS précise que l’ESS compte 22 510 établissements employeurs en milieu rural et qu’elle représente 17,7% de l’emploi privé, contre 13,6% en milieu urbain. La dynamique de l’ESS rurale est effectivement très forte et positive aujourd’hui. Il y a un grand mouvement de création de nouvelles activités à fort impact social, environnemental et économique qui revitalisent les territoires ruraux. D’ailleurs, on parle généralement du secteur de l’ESS mais l’ESS est multisectorielle : agriculture, alimentation, action sociale, santé, culture… Ce qui est intéressant à constater, c’est qu’il y a une convergence des politiques publiques de revitalisation des territoires et des aspirations des porteurs de projet à apporter des solutions positives en milieu rural qui relèvent souvent de l’ESS. |
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Comment les collectivités locales et les pouvoirs publics s'emparent-ils de l’ESS ?
À toutes les échelles, l’ESS est beaucoup mieux prise en compte et valorisée qu’il y a dix ans. La Commission européenne vient de lancer son plan d’action en faveur de l'économie sociale et, au niveau national, le plan de relance fait la part belle à l’ESS avec des plans spécifiques pour les ressourceries-recycleries, les tiers-lieux ou les épiceries sociales, et un site dédié aux acteurs de l’ESS où de nombreux appels à projets sont publiés. À l’échelle locale, les Régions mettent en place, depuis la loi Hamon, des schémas régionaux de l’ESS ; les communes et EPCI, et parfois les Départements, développent des politiques publiques dédiées. Avec l’Agenda Rural, l’État a impulsé une dynamique de programmes d’actions autour de la ruralité, dans lesquels l’ESS a son rôle à jouer.
« Les élus ont un vrai intérêt à attirer les porteurs de projet de l’ESS »
Comment favoriser le développement d’initiatives de l’ESS dans les territoires ruraux ?
Première chose : les collectivités locales et les élus doivent se rendre compte que l’ESS a un impact positif localement et qu’ils ont un vrai intérêt à attirer les porteurs de projet pour rendre attractif leur territoire. Dans ce sens, une bonne pratique est de bien le marketer, de valoriser ses atouts et d’avoir une stratégie d’accueil pour aider les porteurs de projet à trouver un logement, une solution de garde pour les enfants, un travail pour le conjoint, etc. Les collectivités peuvent par ailleurs intégrer davantage les acteurs de l’ESS dans la commande publique ou leur faciliter l’accès au foncier. Pour favoriser des coopérations locales utiles, les porteurs de projet doivent aussi viser une synergie entre les compétences de la collectivité et leurs initiatives. L’idée est que les projets s’intègrent par exemple dans les plans climat ou de gestion des déchets des communautés de communes ou dans les feuilles de route des Départements. Enfin, il faut proposer un accompagnement de proximité pour chaque porteur de projet, où qu’il soit sur le territoire. C’est d’ailleurs le sens du programme « Entreprendre la Ruralité », piloté par la Fondation Entreprendre qui vise à favoriser l’accompagnement d’entreprises de territoire en milieu rural.
À quels défis fait face l’ESS rurale ?
L’un des enjeux majeurs porte sur la pérennisation des projets. Cela pose question en milieu rural où les ressources sont plus limitées que dans les grandes zones urbaines. Les porteurs de projets doivent réussir à hybrider leurs ressources, à trouver l’équilibre entre cotisations, subventions, vente de prestations, accès au financement solidaire, etc. Un problème lié à la pérennisation des projets de l’ESS est l’accent mis sur l’innovation sociale dans les financements publics. Beaucoup de porteurs de projet se plaignent de devoir innover tous les jours et inventer sans cesse des projets pour accéder à ces financements. Ils préféreraient être davantage reconnus pour leur impact social et environnemental que pour la manière dont ils l’obtiennent. Enfin, il s'agit aussi de continuer à démontrer que l’ESS ne concerne pas uniquement l’action sociale mais aussi l’action économique. Elle contribue au développement d’une économie rurale plus résiliente.
Réseau rural français - Kogito